MEC-ART: abréviation de mec(hanical) art. C'est à
juste titre qu'on a parlé de mec-art ou de peinture mécanique à propos
d'un groupe d'oeuvres de Béguier, Bertini, Pol Bury, Jacquet, Nikos et
Rotella que j'ai réuni en octobre 1965 à Paris, en février 1966 à
Bruxelles et en octobre de la même année à Milan, sous le titre
significatif d'Hommage à Nicéphore Niepce. Toutes ces oeuvres en effet
utilisaient les procédés photographiques (clichages directs sur papier,
toile ou plaque métallique émulsionnée, analyse et report de trames,
impression sérigraphie à grand tirage sur tissu ou matière plastique) dans
le même but: l'élaboration mécanique d'une nouvelle image de
synthèse. Leurs auteurs avaient tous une carrière artistique déjà
longue et s'étaient fait connaître par d'autres options de langage (à part
le plus jeune d'entre eux, Alain Jacquet, qui sera un des rares à aller
vraiment jusqu'au bout des choses). Ils en étaient arrivés là par des
cheminements fort divers, de l0informel et tu cinétisme au nouveau
réalisme, et pour certains ce ne fut, d'ailleurs, qu'un moment de
transition et d'expérimentation. Ils furent bientôt rejoints par de
nombreux praticiens de l'image narrative, l'Israélien de Paris Neiman, les
allemands Richter et Polke, les Italiens Elio Mariani, Luca Patela, Aldo
Tagliaferro, Anna Maria Comba, Bruno di Bello, Giorigio Albertini, les Suédois
Sjölander, Weck, et Romare. A la fin des années éclipsé par
l'hyperréalisme (photo-peinture à l'aérographe) a conquis la scène
néo-figurative européenne. A vrai dire le procédé de report
photographique sur sérigraphie,qui est à la base du mec-art, était bien
connu de tous les dessinateurs industriels et des publicistes. Il consiste
à reporter la trame d'ne photographie sur un support de soie et à imprimer
le cliché après encrage,s ur papier ou sur tissu. Mais c'est l'américain
Andy Warhol qui décida le premier, en 1961 à New York, d'utiliser cette
technique dans sa peinture de façon à obtenir, à l'exclusion de tout effet
subjectif ou manuel, une image-objet susceptible d'entrer dans différentes
combinaisons: agrandissements, répétition, multiplication, séries
alternées, etc. Rauschenberg reprit le procédé à son compte et l'utilisa
dans une série de toiles qui s'inscrivent dans la suite logique des
combine-paintings et qui marquent le passage du relief au plan, dans le
respect de la multiplicité de l'image. Le succès immédiat de Warhol
popularisa la recette. Les Américains ont du point de vue technique une
courte avance sur les Européens, mais les esprits différent: pour Warhol
ou Rauschenberg, le cliché reporté correspond au transfert sur un plan
bidimensionnel de la notion de ready-made, l'image est traitée comme un
simple objet trouvé; pour les mec-artistes européens en revanche, le
cliché reporté est un élément actif d'intervention sur le champ visuel, le
catalyseur de la restructuration mécanique de l'image.
Une
progressive condensation du message visuel L'attitude de Gianni
Bertini est exemplaire à ce propos. Il adhère su mec-art avec enthousiasme
en 1965 et il en sera le véritable animateur militant avant d'en devenir
pour un temps le mainteneur classique. Après le Pays Réel, les
collages-peintures de 1963 deviennent de plus en plus complexes. En 1964,
Bertini décide de donner une unité nouvelle à ces montages composites
issus da la tradition dadaïste des rayogrammes, en les photographiant et
en reportant le cliché sur toile. Dès lors, et pendant plus de dix ans,
jusqu'en 1976, il va systématiser et rationaliser le procédé, réalisant
même à l'occasion des impressions multiples sur plastique thermoformé (E
Una Donna, 1966), tout en opérant une condensation progressive du message
visuel. La photographie devient l'élément clé de la synthèse unitaire
de l'image. Non seulement la cliché abolit tout effet de contraste, tout
différence de matière entre les collages et les parties peintres, mais il
conditionne l'esprit du message sémantique. Le constat narratif ainsi
objectivé impose sa loi au rythme gestuel, il en rationalise l'élan et les
pulsions anarchiques. Ou, plus exactement, la dynamique du geste devient
un élément de composition de l'ambiance, un facteur d'animation de la mise
en pages du discours et du constat. Dans des oeuvres comme Sorge il Sole,
Aurora, A Passo di danza (1970) ou Guarda chi passa (1969) l'intégration
forme-fond (narration-rythme) déjà amorcée dans Le Amazzoni (1965) ou
Succede qualche cosa (1966) est totalement achevée. Plus la composante
gestuelle sera organiquement intégrée au champ visuel et plus elle aura
tendance à se dissoudre dans le fond de l'image, un peu à la manière d'un
camouflage d'un décor: dans Un giorno, Stilmec, Le Amiche (1967) et,
surtout, L'Aviatore (1968) et Quelli che vanno (1969), elle n'est
pratiquement plus perçue en tant que telle, mais comme un élément de
graphisme pur (les robes des filles, la peinture de l'avion). Dans le
cycle de l'Abbaco, elle aura disparu complètement, elle n'apparaîtra plus
que dans vêtements et des tissus, comme le rappel d'un
souvenir. |